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L'affaire Donziger-Equateur-Chevron

 

L'affaire Donziger-Equateur-Texaco-Chevron.

  

 

NOTE: L'affaire est si complexe que ce qui suit ne peut être considéré comme un exposé complet des faits mais plutôt comme un aperçu général des différentes procédures, appelant à amélioration continue. L'affaire mériterait un traitement plus approfondi en langue française. 

Ces procès ne s'inscrivent pas directement dans l'étude de l'extraterritorialité du droit américain: néanmoins, l'étude du droit américain dans son ensemble est nécessaire pour mieux aborder certaines questions d'extraterritorialité, concernant notamment le RICO ou le FCPA. 



1. Class action à New York

L'affaire débute lorsqu'un groupe de plaignants équatoriens, encadrés entre autres par l'avocat au barreau de New York Steven Donziger, lancent une class action contre la firme américaine Texaco devant un tribunal du South District de New York [ S.D.N.Y - où Texaco possède son siège social].

Cette class action (Aguinda v. Texaco) fait suite aux dégâts environnementaux causés par Texpet, branche de Texaco dans le cadre de l'exploitation pétrolière dans le pays des années 60 au tout début des années 90. Texaco (rachetée en 2001 par Chevron) est parvenue à signer un accord avec le gouvernement équatorien en 1994, considérant le nettoyage des sites comme complet.

Les avocats de Texaco cherchent à obtenir la compétence du juge équatorien. Rester devant le juge américain signifie le risque d'un procès retentissant et d'une décision mise entre les mains d'un jury populaire.


2. Forum non conveniens: la justice équatorienne est compétente

Pour faire court, Texaco, passée maintenant sous le giron de Chevron, obtient gain de cause quant à la compétence juridictionnelle : le juge new yorkais prononce le forum non conveniens le 30  mai 2001, à la condition, acceptée par Texaco,  de se plier à la décision à venir de la justice équatorienne.

Trois procès sont alors lancés :

  • une class action en Equateur - la class action a été introduite dans le pays en 1999 -, reprenant l'esprit de celle engagée en 1993 à New York en s'adaptant à la loi équatorienne, visant à la réparation des dégâts causés par Texaco.

  • des poursuites judiciaires par la justice équatorienne à l'encontre de deux avocats de Texaco dans le cadre des accords de nettoyage, pour faux documents.

  • de son côté, Chevron lance en 2006 un arbitrage international sur le fondement du traité bilatéral d'investissement entre l'Equateur & les Etats-Unis, à la Haye.

  3. Sortie du film Crude

En 2009, sort au cinéma le film Crude, suivant Donziger et l'avocat équatorien Fajardo dans leur procès contre Chevron.

Les deux avocats poursuivis évoqués en (2) ont recours à la disposition §1782 U.S.C – autorisant l'usage de la procédure de discovery  pour un procès hors des Etats-Unis – car les cassettes non publiées du film se trouvent à New York : certains extraits du film les intéressent pour leur défense. Le juge nommé suite à cette demande est Lewis A. Kaplan. Ce dernier considère que les conditions statutaires de §1782 sont remplies:

La cour de district du district dans lequel une personne réside ou se trouve peut lui ordonner de témoigner, de déposer une déclaration, ou de produire un document ou autre dans une procédure en cours auprès d'un tribunal étranger ou international, incluant les enquêtes criminelles conduites avant accusation formelle. L'ordre peut être émis à la suite d'une lettre rogatoire édictée ou dont la requête fut faite par un tribunal étranger ou international ou à l'initiative de toute personne interessée et peut ordonner que le témoignage ou la déclaration soient déposés et les documents ou autres soient produits devant une personne nommée par la cour.  (NDR: les quatre conditions statutaires mises en relief par le rédacteur.) [The district court of the district in which a person resides or is found may order him to give his testimony or statement or to produce a document or other thing for use in a proceeding in a foreign or international tribunal, including criminal investigations conducted before formal accusation. The order may be made pursuant to a letter rogatory issued, or request made, by a foreign or international tribunal or upon the application of any interested person and may direct that the testimony or statement be given, or the document or other thing be produced, before a person appointed by the court.’ ]

Une fois les conditions statutaires remplies, les conditions posées par l'arrêt Intel v.Advanced Micro Devices Inc. sont au nombre de quatre :(1) si le matériel recherché est à portée de la juridiction du tribunal étranger et partant accessible sans recours à §1782 ; (2) la nature du tribunal étranger, le caractère de la procédure en cours, et la réceptivité du gouvernement étranger, du tribunal ou de l'agence à l'assistance juridictionnelle des tribunaux fédéraux états-uniens; (3) si la requête de §1782 dissimule une tentative de contourner des restrictions étrangères dans la recherche de preuves, ou d'autres mesures d'un pays étranger ou des Etats-Unis; (4) si le subpoena contient des requêtes indûments intrusives ou représentants une charge trop lourde. [(1) whether the material sought is within the foreign tribunal’s jurisdictional reach and thus accessible absent §1782 aid; (2) the nature of the foreign tribunal, the character of the proceedings underway abroad, and the receptivity of the foreign government or the court or agency abroad to U.S. federal-court jurisdictional assistance; (3) whether the §1782 request conceals an attempt to circumvent foreign proof-gathering restrictions or other policies of a foreign country or the United States; and (4) whether the subpoena contains unduly intrusive or burdensome requests.]

Le privilège journalistique fait l'objet d'une protection particulière par §1782, et il est nécessaire que la demande de discovery encore quiconque en bénéficie ait pour objet de  documents "hautement pertinents" ( highly material & relevant).

Le juge Kaplan accède à la demande et décide d'accorder les 600 heures d'enregistrement à    Chevron.

 Après appel, la cour d'appel du second circuit confirme partiellement la décision du juge Kaplan

 

4. Jugement équatorien et contre-offensive de Chevron

 Avant même que ne tombe le verdict équatorien le 14 février 2011, Chevron enclenche sa     contre-offensive. 

Une plainte pour violation (civile) du RICO est déposée le 1 février 2011 par Chevron contre les demandeurs du jugement de Lago Agrio (Lago Agrio Plaintiffs - abréviés en LAP) et leur avocat américain, Donziger, accompagnée d'une demande de dommages & intérêts. La demande de dommages & intérêts sera néanmoins abandonnée par Chevron: le procès aurait alors dû faire appel à un jury.

Chevron accompagne cette demande en réclamant au juge Lewis A.Kaplan une injonction        anti-suit, permettant de suspendre les effets du jugement équatorien dans le monde entier (  avant même que ce dernier n'ait été rendu).

Le 9 février 2011, le juge Kaplan, se fondant sur le Foreign Money Judgments Act de New        York, accepte la demande et prononce une injonction anti-suit globale en lui conférant une portée directe, tout d'abord par intérim, puis confirmée le 7 mars 2011. 


La cour équatorienne rend son verdict en première instance le 14 février 2011, condamne Chevron à 9,5 milliards de dollars d'amende, somme doublée si Chevron n'adresse pas ses  excuses aux plaignants. Le jugement est confirmé en appel le 3 janvier 2012, et validé par la Cour Constitutionnelle équatorienne le 27 juillet 2018 - l'amende étant réduite  à 9,5 milliards de dollars.

La portée globale de l'injonction anti-suit du juge Kaplan sera retoquée : les juges du 2nd circuit nieront  le 26 janvier 2012 au Foreign Money Judgments Act de New York une telle portée, considérant que ce texte se contente de dresser une liste des causes de refus admissibles des jugements étrangers,dont  l'objectif était de faciliter la circulation international des jugements.

Le tribunal arbitral de la Haye rend de son côté un ordre de mesure intérimaire (Order for Interim Measures) – fondé sur les règles de 1976 n° 26 & 32 - le 9 février 2011, demandant à l'Equateur que tout soit mis en œuvre pour suspendre la reconnaissance du jugement à venir, tant en Equateur qu'à l'étranger.

(En réponse à cet ordre de mesures intérimaires, les plaignants contestent l'arbitrabilité du     litige devant la justice américaine.)



5.Verdict du procès concernant le RICO. 

Le 4 mars 2014, le juge Kaplan rend son verdict dans l'affaire Chevron Corp v. Donziger ( 974 F. Supp. 2d 362 ( S.D.N.Y. 2014), favorable à Chevron, considérant que le verdict rendu par la cour équatorienne fut obtenu  :


"through inter alia, defendants' bribery, coercion, and fraud,  warranting relief against Steven Donziger ("Donziger") and his Firm under the Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act ("RICO"), 18 U.S.C. §§ 1961-1968, and against all defendants-appellants under New York common law.".

Il ordonne donc la constitution d'un trust permettant à Chevron de récupérer les sommes exigées par Donziger dans le monde entier en application du jugement équatorien. 

Le RICO , comportant un versant civil et un versant pénal, visait initialement à sanctionner certains agissements mafieux tels que l'extorsion. Sa portée est large, et la violation d'autres textes de loi peut servir de prédicat à la mise en accusation pour violation du RICO. Un de ces textes de loi, le Travel Act, permet d'incriminer l'usage à des fins illégales de la poste américaine. Et Ce Travel Act connait lui-même plusieurs prédicats, parmi lesquels le FCPA. ( en résumé: FCPA : prédicat pour le Travel Act; Travel Act : prédicat pour le RICO).        

Le jugement établit que Donziger a violé les dispositions du RICO, ainsi que le  Travel Act en utilisant une adresse email aux Etats-Unis afin de faire réaliser un transfert bancaire depuis les Etats-Unis vers l'Equateur (pour l'expert indépendant nommé par le tribunal équatorien Richard Cabrera), constituant une violation du FCPA.

Concernant l'extraterritorialité du RICO, la question fut rapidement écartée par le juge Kaplan qui considéra que le litige était suffisamment américain : un avocat américain - Donziger - poursuivi par une compagnie américaine (Chevron), les deux camps aidés par des cabinets d'avocats & d'experts américains. 

Les faits majeurs sur lesquels le juge Kaplan se fonde sont le rôle de Donziger dans la rédaction du rapport de l'expert indépendant sollicité par la justice équatorienne pour évaluer les dommages et les sommes nécessaires à la réparation, Richard Cabrera, ainsi que sur le témoignage de Guerra, un ancien   assistant au juge équatorien, prétendant que Donziger lui aurait remis un pot-de-vin pour influencer le verdict. De plus, Donziger est reconnu coupable d'avoir corrompu le juge en personne, et d'avoir exercé une influence illicite sur témoin.

Selon le juge Kaplan, le rapport a été rédigé par les demandeurs, et plus précisement par un cabinet d'expertise américain sollicité pour l'occasion et ayant son siège dans le Colorado; l'expert indépendant a été rémunéré par les demandeurs.  Durant la procédure d'arbitrage, en 2015, Guerra reconnaitra avoir menti devant le juge Kaplan et n'avoir pas reçu de pot-de-vin de la part des demandeurs. 

 

Donziger fait appel du jugement.


 6. Appel de Donziger

Donziger décide de faire reposer son appel uniquement sur des questions de  droit; cela signifie qu'il ne conteste pas les faits énoncés par le jugement de première instance. 

"defendants-appellants challenge the district court's judgment, arguing principally that the action should have been dismissed on the ground that Chevron lacks Article III standing, and/or that the judgment should be reversed on the grounds, inter alia, that it violates principles of international comity and judicial estoppel, exceeds any legal authorization for equitable relief, and was entered without personal jurisdiction over defendants other than Donziger and his Firm."

Deux des questions de droit importantes soulevées par Donziger concernaient pour l'une l'estoppel, et l'autre le fait que le jugement en appel en Equateur a opéré une révision des faits de novo, paralysant toute possible fraude du jugement en première instance  ("article III standing").  Les deux arguments furent rejetés par le 2nd Circuit, dans un arrêt rendu le 8 août 2016.

Concernant l'estoppel : Chevron ayant souhaité obtenir la juridiction équatorienne, défendant l'intégrité et l'impartialité de cette dernière, jusqu'à la déclaration de forum non conveniens en 2001,  ne devrait pas pouvoir se retourner contre ce choix en attaquant la décision équatorienne. La cour d'appel écarte l'argument, en prenant en compte la déclaration de Chevron lors de la déclaration de forum non conveniens: la firme s'était garantie une porte de sortie en cas de jugement frauduleux en s'appuyant sur le Foreign-Country Money Judgments Recognition Act.     

Concernant  l'argument du jugement de novo de la cour d'appel équatorienne : les conditions de l'article III sur l'intérêt à agir pour que le litige puisse constitutionnellement être amené devant une cour fédérale sont au nombre de trois : le demandeur doit avoir subi un dommage factuel, il doit exister une connexion causale entre la conduite du défendeur et le dommage du plaignant, et il doit être probable qu'un verdict favorable au demandeur ait un effet correcteur sur le dommage subi. Donziger contestait la seconde condition, car la cour d'appel équatorienne ayant procédé à un nouvel examen des faits, la connexité causale entre le comportement des défendeurs et le dommage subi n'est pas établie; le 2nd  circuit considère que l'examen de la connexion causale doit se faire au moment du début de l'action du demandeur ( p.77, l.18), qui, en l'espèce, fut introduite le 1er février 2011, soit avant le jugement équatorien du 14 février 2011. Chevron pouvant alors, selon la Cour d'appel, s'appuyer sur de nombreux éléments précédant le premier jugement équatorien, l'argument soulevé par Donziger n'est pas opérant.


Le 7 septembre 2018, la sentence du tribunal arbitral dans l'affaire Chevron c/ Équateur est rendue et donne raison à Chevron,  en application de la convention bilatérale sur les investissements - dénoncée par l'Equateur en 2012.


7. Le procès criminel de contempt of court.

Le 30 juillet 2019, le juge Lewis A. Kaplan émet un order to show cause, ordonnant à Donziger de fournir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être poursuivi pour  contempt of court en vertu de la Règle 42 des Règles fédérales de procédure criminelle (18 U.S.C. § 401(3) – Federal Rule of Criminal Procedure 42) - après que ce dernier ait refusé de fournir son ordinateur pour analyse, de rendre son passeport, et de renoncer à ses droits sur l'exécution du jugement équatorien de 2011.

En raison du refus des procureurs du district de poursuivre M. Donziger pour ces faits, le juge Lewis A. Kaplan eut recours à la private prosecution, nommant comme private prosecutors trois avocats de la firme Seward & Kissel. Donziger, en raison des liens indirects de cette firme avec Chevron, tenta d'en obtenir le remplacement;   le juge en charge du procès criminel pour contempt of court, choisie par le juge Lewis A. Kaplan, Loretta Preska, refusa. La demande formulée par Donziger visant à écarter tout juge du district sud de new york, en raison de leur proximité avec le juge Kaplan fut également rejetée par le juge Preska.  

8. Les mesures restrictives de liberté imposées à Donziger

Lors de la mise en accusation (arraignment) de Donziger le 6 août 2019 pour contempt of court, le juge Preska considère que Donziger présente un risque de fuite, et ordonne la mise de ce dernier aux arrêts domiciliaires, avec un contrôle permanent par GPS. Le procès, initialement prévu en juin 2020, fut repoussé en raison de l'épidémie de Covid-19. Prévu en second lieu en  septembre, il fut de nouveau décalé à la demande de Donziger après le départ d'un de ses avocats : le juge Preska fixe ensuite la date au 4 novembre 2020, jour de l'élection américaine ; le nouvel avocat de Donziger étant dans l'impossibilité de se rendre à New York ce jour-là, la juge Preska, sous la pression, accepta un nouveau report au mois de janvier 2021.

La peine encourue par Donziger est de six mois de prison ferme : le temps passé aux arrêts domiciliaires n'est pas déductible de la peine.

Entre temps, Donziger s'est vu radier du barreau de New York. Cette décision fut contestée par Donziger, car la cour, imposant un collateral estoppel relatif aux faits relevés par le juge Kaplan en 2014, alors même qu'il s'agissait d'un verdict pour civil fraud obtenu sans jury et dont les faits furent contestés ultérieurement par d'autres cours,  empêchait ainsi Donziger de se défendre de façon équitable. La défense de Donziger ajoute que la radiation du barreau pour une fraude civil, et ce sans audience, est interdite dans plusieurs Etats américains. Les règles en matière d'accès au barreau sont régies à l'échelon étatique.

 

 Points à compléter

+ Sur la reconnaissance /refus de reconnaissance du jugement équatorien  à l'étranger: Brésil / Argentine / Canada / Gibraltar.

+ Sur les procédures et arguments soulevés au cours des procédures d'arbitrage. 

 

 

 

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